vendredi 10 avril 2015

Carnets très intimes  16

 

Je suis à jeun d’énergie de vivre. Je suis peu à peu passé d’un état de goinfrerie à un état de disette. D’un état de boulimie de souffrances à un état d’anorexie de vie.

 

J’étais gourmand, j’apprends à devenir gourmet.

 

Je ne suis pas à la diète, j’ai plutôt changé la façon de me nourrir.

 

J’apprends à déguster plus lentement ce que m’offre la Vie. Parfois même, nous faisons le menu ensemble. Et à même mon jardin viscéral.

 

Ce petit lopin de terre que je possède, je suis le seul à connaitre le chemin pour y parvenir. Mon terreau est tellement immense que mes yeux peuvent y voir l’infini.

 

J’apprends jour après jour à labourer, à semer dans cette terre fertile. C’est moi seul qui y sème les graines; celles que j’ai trouvées, celles qui m’ont été données et celles qu’on m’a offertes. 

 

J’abreuve mon labour de mon puits intérieur. Et j’ai besoin de le remplir régulièrement d’inspiration, d’imagination, de créativité, d’idées. 

 

J’y récolte toujours des fruits aux goûts, aux couleurs et aux formes les plus excentriques. Ils sont uniques. Certains mûrissent rapidement, d’autres restent verts très longtemps. Lorsque je récolte un fruit trop tôt, il me laisse un arrière-goût métallique qui dure longtemps. 

 

 

De saison en saison à faire fructifier ce lieu intérieur dont j’ai hérité, je suis devenu un maraîcher solitaire.

 

Mais aussi un homme nature.

 

 

 

 

 

 

 

mercredi 1 avril 2015

Carnets très intimes  15

 

De l’extérieur, je semble imperméable à tous froissements négatifs qui peuvent m’atteindre. Téflon. Mais en fait, dès que je reçois une gifle négative, un signal d’alarme retentit dans mon esprit et je me précipite à la vitesse de l’éclair, comme un superhéros, dans ce lieu protecteur que j’ai bâti dans ma tête et je m’y embarre à triple tour.

 

Mais dans le noir de ma prison mentale, je deviens peu à peu désorienté. Déséquilibré.

 

Cet endroit où je suis venu pour échapper à la peur de souffrir est le lieu où j’enfonce toutes ces peurs dans un immense réservoir de boue gluante de douleurs. Et les souffrances qui les accompagnent. La besogne de noyade est difficile et souffrante. Très souffrante.

 

J’ai échangé, dans un troc pernicieux, une souffrance pour une autre.

 

J’œuvre pendant quelques minutes. Ou quelques heures. Ou quelques jours. Mes mains sont couvertes de boue crasseuse comme on l’est de sang. Je tombe d’épuisement et m’allonge sur le sol. Recroquevillé, je ne peux parler, émettre le moindre son. 

 

Puis, comme une marée montante de carcasses pourrissantes, le réservoir dégorge de boue qui se glisse jusqu’à moi. Lentement, la vase me recouvre le corps tout entier. Comme ce drap chaud que ma mère m'ajoutait l’hiver. 

 

Je deviens engourdi. Je ne peux plus respirer à cause de cette boue que j’avale de plus en plus. 

 

C’est alors qu’un petit mouvement nait en moi. Qu’il prend vie. Qu’il se révolte.

 

Soudain, le chemin du retour m’apparait plus clairement. Comme un serpent affolé, je rampe hors de cette vase étranglante et je prends le chemin du retour.

 

Je suis accueilli par une lueur éblouissante. Éblouissante, car elle se reflète sur les barreaux de fer qui brillent tout autour de moi. Je prends conscience que je suis dans la même prison, mais dans une cellule différente.

 

Nu dans mes pensées, je prends alors un grand bain pour effacer toute trace de cette boue sanglante.

 

 

Vivre pour moi reste une condamnation à vie. Je me libère par la parole.